Le vernissage
Je ne suis pas une connaisseuse, ça c’est sûr.
Ma mère m’a toujours dit : « Alix,ma chouchoune, tu n’auras décidément pas la fibre artistique. »
Pourtant malgré cela, elle qui se dit : être une connaisseuse justement, m’a souvent traînée de force dans des salons d’exposition. Non pas pour admirer le talent fulgurant d’un artiste mais seulement pour parfaire mon éducation, paraît-il, en matière de mondanité.
L’autre matin, elle m’appelle en me suppliant de l’accompagner au vernissage d’un illustre inconnu, artiste, pur artiste.
- D’accooord… J’ai fait. Car qui peut refuser quoi que ce soit à sa propre mère ?
- Surtout, ne sors pas de stupidités, je t’en prie, me prévient-elle. Donc, nous sommes entrées dans les lieux : - Beurk ! Nul goût de merde cet artiste. - Tais-toi, paniqua t-elle, d’un air désespéré, qu’est-ce que je vais faire de toi ?
Que du beau monde, le gratin des beaux quartiers parisiens, je veux !
- Quelle oeuvre, quelle profondeur et quelle sensibilité !!! A hurlé une bonne femme, décorée comme un sapin de noël, bijoux et froufrous à gogo (classe bourgeoise), plantée là, devant une gigantesque toile noire ornée de petits points rouges.
- C'est indéniââble ! Ai-je ajouté, en me dirigeant vers le coin coktail où une masse de personnes s'empiffrait de petits fours. A croire qu'ils n'avaient pas mangé depuis des jours.
- Un pchtit four ? M’a proposé un grand dadais, en avalant les dernières miettes d'un plat qu'il gardait précieusement contre lui. Oh ! Mince, trop tard ! Je suis désolée... A-t-il gargouillé.
Je pensais à me tirer vite d’ici.
Voilà qu’un homme très efféminé s'avança vers nous. Lui, l’artiste.
- Tiens, a fait Maman, Alix je te présente l'artiste du jour : Paul, peintre et sculpteur, le meilleur d'entre les meilleurs...
- Vous exagérez, voyons, rougit-il... Bonsoir Alix, se jeta t-il sur moi : Dites-moi, ma chère, que pensez-vous de mes oeuvres... Sincèrement cela va de soi.
- Franchement ?...
Ne jamais poser une telle question à Alix.
Je sentais ma mère bouillonner comme une cocotte minute.
- Oui, vraiment. A t-il dit d'un air attentif et très intéressé.
Bon ben si on me demande hein ! J’me lance !
- Disons que d'un point de vue général, en ayant observé tant les toiles que les sculptures, ainsi que le regard des gens posé sur vos oeuvres...
- Oui ?
- Et bien, je dirais que votre art est tout à fait dénué d'intérêt, certaines croûtes sont à gerber, quant aux sculptures je n'arrive décidément pas à y trouver un soupçon de talent, et particulièrement ce vieux balai planté à l'envers dans un carré de mousse bleu électrique. J’aurais plutôt tendance à croire que vous faites du recyclage. L'art, à mon avis, n'a rien à voir là-dedans... Par contre vous êtes un fin bricoleur et un petit malin qui vend ses toiles à des milliers d’euros... Mais ne vous inquiétez pas, je n'en soufflerai mot à personne : motus et vous connaissez la suite.
- Elle plaisante, j'espère ! Il a titubé le teint décomposé, en s'adressant à ma mère qui riait jaune en m'écrasant les doigts de pied.
- Mais bien sûr, qu'elle plaisante, hein ? Ma chouchoune ?
- Mais bien sûr !! Ai-je sorti d'un ton très snob.
Soulagé, Paul a proclamé haut et fort :
- Elle est irrésistible !!